Pour le président de l’UIMM Lorraine (Union des industries et métiers de la métallurgie), toutes les cartes sont réunies pour que l’industrie rayonne de nouveau dans notre territoire. A condition notamment de régler le problème des compétences et de jouer collectif entre autres avec nos voisins frontaliers.
Propos recueillis par Stéphane Getto
L’industrie, en Lorraine notamment, a montré sa capacité à rebondir dès le premier confinement. Comment l’expliquez-vous ?
Hervé Bauduin : L’industrie a en fait démontré deux choses. Un, sa capacité à faire face et à s’organiser pour ne pas s’arrêter, quelques fois même bien mieux que les services de l’Etat. Deux, elle a clairement établi en quoi elle était indispensable: on ne peut être un grand pays sans avoir une grande industrie. Si on veut conserver une certaine indépendance, une autonomie et une prospérité, il faut une industrie forte. Désormais, enfin, tout le monde en a conscience. Nous devons faire en sorte que cela se traduise par des actes, en commençant par maintenir et consolider notre compétitivité. Un autre sujet fondamental est celui des compétences.
« Demain un Elon Musk doit pouvoir dire : ma prochaine usine, c’est en Lorraine que je l’implante »
Hervé Bauduin, Président de l’UIMM Lorraine
Chef de file de France Industrie Grand Est
Justement comment faire pour résoudre le problème de la pénurie de main d’œuvre qui empêche trop souvent les industriels d’honorer correctement leurs carnets de commandes ?
Hervé Bauduin : Dans le court terme, les entreprises ont en effet besoin de personnel. Comment fait-on ici, en Lorraine, pour que la main d’œuvre encore sans emploi et sans formation puisse être formée pour nous rejoindre, surtout dans les métiers en tension ? Il est nécessaire de se mobiliser sur toutes les actions possibles et imaginables pour y parvenir. C’est par exemple l’objet d’une convention que nous avons signée avec Pôle emploi Grand Est. Pour réussir, nous devons avoir tous les acteurs autour de la table et sortir une fois pour toutes des corporatismes. Il faut montrer la réalité des métiers d’aujourd’hui, C’est indispensable, d’autant qu’elle est séduisante. Dans le Grand Est, on doit avoir encore presque 500 000 demandeurs d’emploi. L’industrie c’est 300 000 emplois directs.
Le frein est-il toujours celui de l’image ou plutôt celui de l’orientation ?
Hervé Bauduin : C’est encore l’image, même si les lignes bougent. Pour les salaires par exemple, l’opinion commence à prendre conscience que les rémunérations dans l’industrie sont environ 15 % au-dessus de la moyenne. Il y a très peu de Smic dans l’industrie compte tenu de la qualification exigée dans nos métiers. Depuis mai-juin, avec le redémarrage des cafés et restaurants, ce secteur connaît un manque de main d’œuvre parce que des gens qui travaillaient dans cette filière se sont reconvertis dans l’industrie qui, elle, a continué de tourner, certains ayant enfin compris qu’elle était la clef de voute de notre vie économique et sociale.
Finalement ils s’y trouvent bien car nous avons les 35 heures, les conventions collectives, une précarité moins forte, etc. Bien sur l’image de la désindustrialisation a fait mal ces dernières années. Mais aujourd’hui nos usines n’ont plus rien à voir avec le tissu industriel d’il y a 30 ou 40 ans. L’idée qu’il n’y pas d’évolution possible dans nos métiers est tout simplement fausse. On peut commencer comme opérateur et terminer sa carrière comme cadre voire comme patron. Il faut travailler à destination des plus jeunes, les collégiens, et vers les jeunes femmes. Sur ce dernier point, nous allons convaincre par l’Exemple. Certes les femmes s’engagent dans l’industrie, mais elles ne sont pas assez nombreuses et ce n’est pas assez su.
Vous prônez aussi une vision à l’échelle du bassin Sarre-Lor-Lux ainsi qu’à une alliance privé-public ?
Hervé Bauduin : Oui, en Lorraine, la question des compétences ne peut pas être abordée sans tenir compte de nos voisins. Un exemple : en Rhénanie-Palatinat, la moitié des chefs d’entreprise indiquent ne pas atteindre leur objectif de chiffre d’affaires parce qu’ils manquent de compétences… L’enjeu est bien transfrontalier. La Grande région (Lorraine, Luxembourg, Sarre, Rhénanie, Wallonie), c’est 12 % du PIB européen, 700 000 emplois industriels. Nous devons travailler ensemble en matière de collaboration industrielle mais aussi en termes de cartographie des formations. Une approche systémique des enjeux est essentielle avec une vision globale et territoriale.
C’est pour cela que j’en appelle à une task-force public/privé. J’ai toujours la mégafactory de batteries électriques en travers de la gorge (le Grand Est a laissé échapper le dossier au profit des Hauts-de-France, ndlr). Il faut être capable, quand un projet pointe le bout de son nez, de rapidement se rassembler entre les branches, les universités, les consulaires, les collectivités pour se dire : « allez, que faisons-nous ensemble pour donner des réponses rapides et simples à l’investisseur, et être ainsi hyper attractif pour remporter la mise ».
D’ailleurs, un des tous premiers dossier sur lequel nous devons travailler avec cette volonté, c’est l’automobile. Si en 2030, la filière doit être décarbonée et qu’on fait un compte à rebours, les sous-traitants de l’automobile, c’est aujourd’hui qu’ils doivent penser à leur transformation, pas après-demain ! Envisager leur diversification, leur redimensionnement éventuellement, et penser surtout formation, reconversion vers les métiers qui seront nécessaires est vital.
Quel est votre regard sur la transformation de l’industrie vers le 4.0 ?
Hervé bauduin : Je ne sais pas ce qu’est l’industrie 4.0. Je ne connais que l’industrie. L’ambition d’une entreprise, ce n’est pas d’être 4.0. C’est d’être le numéro 1 sur son marché ou de dégager telle marge ou d’atteindre telle taille, etc. La transformation numérique est nécessaire mais ne doit être qu’un outil au service de ces ambitions. D’ailleurs nous ne sommes pas en retard sur ce point. Le Grand Est totalise aujourd’hui 30% des lauréats du plan France relance, avec une très bonne représentation des PME-PMI. Cela démontre que les projets étaient là et que les chefs d’entreprise ont osé. Mais n’oublions que 70 % de nos adhérents, par exemple, ont moins de 50 salariés. Le dirigeant d’une petite entreprise entend dire beaucoup de choses sur le sujet mais ne sait où s’adresser. On souhaiterait mieux le diriger vers le bon interlocuteur pour qu’il ait rapidement les bons contacts.
Et le défi environnemental ?
Hervé Bauduin : Moi, je crois en l’écologie rentable. On ne peut pas bien sûr opposer industrie et environnement. Il faut que le combat écologique soit rentable pour tout le monde. Aidons les entreprises à mener les investissements qui vont leur permettre d’être plus respectueux de l’environnement et plus rentable, plus performant, par exemple, développer des produits moins gourmands en énergie et plus compétitifs. Nous sommes pour la transition, qui doit être acceptable et acceptée socialement et économiquement. Sur la question de l’énergie par exemple. Il faut une transition qui permette de s’assurer une énergie disponible tout le temps. Et là, il n’y a pas de mystère, c’est le nucléaire. En plus c’est une technologie française, avec des emplois français. D’ailleurs, je plaide pour un EPR dans le Grand Est. C’est un bon moyen d’assurer la transition et de trouver des solutions d’énergies renouvelables en abondance, tout le temps disponible, à un tarif acceptable par les Français et par les industriels.
Quels messages souhaiteriez-vous adresser aux Lorrains et à la ministre de l’Industrie ?
Hervé Bauduin : A la ministre : finissez le travail pour mettre l’industrie française, et celle de cette région, dans les meilleures conditions de compétitivité. Aux Lorrains: levez la tête, soyez fiers de ce que vous avez fait, de ce que vous faites et de ce que vous ferez demain. Nous avons d’excellents centres de formation, des laboratoires, des entreprises, une réserve de main d’œuvre … Avec cet écosystème performant, il y aura demain un Elon Musk qui dira « ma prochaine usine Tesla c’est en Lorraine que je l’implante ». de toutes mes forces je veux y croire, car c’est possible.