Quand j’étais enfant, il y a longtemps… très longtemps les adultes employaient une expression qui voulait dire que la situation était compliquée. Ils disaient « quelle époque ! ».
Aujourd’hui j’ai beaucoup grandi et un peu vieilli, mais surtout vous m’avez depuis plusieurs années confié la présidence de l’UIMM Lorraine, notre syndicat patronal.
Pour ne pas lâcher un chapelet de qualificatifs plus ou moins grossiers je dirai donc « quelle époque » ! le Covid, les élections, la guerre en Ukraine !
Visibilité
Nous avons coutume de dire, entre nous, que le plus compliqué pour un chef d’entreprise c’est de ne pas avoir de visibilité. Depuis deux ans nous sommes servis et les deux années qui viennent me semblent hélas particulièrement opaques. Voyons d’abord ce qui pourrait ressembler à un bout de ciel bleu.
L’élection présidentielle est derrière nous et nous savons où nous allons, enfin à peu près, n’oublions pas qu’il y a encore les législatives et l’après législatives… passons.
Le Covid semble, avec pour le moins l’aide des vaccins, commencer à nous laisser vivre presque normalement. La course poursuite entre l’épidémie et la recherche médicale pourrait enfin tourner en faveur de cette dernière.
Certitude
Alors commençons par ce qui est certain. En 2021 l’UIMM Lorraine a parfaitement rempli son rôle, celui d’un syndicat totalement disponible et efficace. Comme je le dis souvent, il n’est pas à vos côtés, il est avec vous. Derrière cette formule si simple se trouve la réalité d’une équipe engagée, compétente et totalement dévouée à ses adhérents. J’en suis très fier mais je n’en suis que le président et c’est en votre nom que je les félicite.
En ce qui nous concerne, malgré un rebond plus puissant que prévu, après la crise sanitaire, l’industrie a commencé à souffrir avec les problèmes d’approvisionnement, allant des pièces détachées aux matières premières en passant par l’énergie. C’était compliqué mais la partie bleue du ciel laissait penser que les orages pouvaient être traversés ou contournés avec succès.
Puis la guerre, atroce, mutilante, meurtrière a percuté les enfants, les femmes et les hommes d’Ukraine. En fait le mot guerre est impropre, trop superficiel. Après le passage de l’armée de Poutine, des villes disparaissent. Elles sont totalement détruites.
En tant qu’être humain je suis sûr que comme moi vous avez eu la gorge nouée, pour ne pas dire plus, face aux mots, aux images, aux sons. Je n’irai pas plus loin, ce n’est pas le lieu.
Humanité
Pourquoi vous dire cela en ouverture de notre AG ? Pour au moins deux raisons.
Tout d’abord parce qu’être chef d’entreprise, notamment dans l’industrie, est avant tout un métier de femmes et d’hommes pour qui l’être humain est au cœur de leur action. Construire une usine, un atelier, des outils, des machines, décrocher un contrat, l’honorer, payer ses charges, ses impôts, tout cela est réalisé par des êtres humains, avec eux et pour eux.
C’est notre fierté de faire cela chaque jour pendant que d’autres détruisent et tuent.
Nous ne vivons pas dans une société, nous en sommes la colonne vertébrale, l’une des clefs de voûte essentielle d’une forme de liberté qui s’appelle Démocratie. J’ai les pieds parfaitement sur terre en disant cela car c’est notre morale, notre fierté. Nous sommes beaucoup plus qu’une part du PIB, avec toutes les femmes et les hommes qui nous composent, y compris les autres syndicats, nous sommes indispensables à la Lorraine, à la France.
Morale, fierté, vision.
La deuxième raison pour laquelle je vous ai parlé de l’Ukraine c’est les leçons, parfois personnelles, que nous, patrons industriels, devons tirer de ces derniers mois. Je me garderai bien de faire la leçon, je n’en ai ni le droit ni les compétences, mais je voudrais vous proposer modestement un éclairage que l’on nous présente fort peu…fort peu !
Jusqu’il y a très peu de temps, puisqu’on l’entend encore, nos amis Allemands étaient, dans le domaine économique, considérés comme des modèles de réussite. Le beau miroir dans lequel chacun se regardait vient d’exploser en mille morceaux. « mutti », maman comme l’appelaient avec tant d’affection les allemands et presque toute l’Europe a pris deux décisions. Supprimer le nucléaire et deuxième décision, le remplacer par une quasi mono énergie, le gaz, venant globalement d’un seul pays : la Russie de Poutine. Ajoutons-y le charbon, les éoliennes au nord et la consommation d’électricité au sud. Voilà la réalité d’une Allemagne qui consomme chaque jour une énergie en moyenne 4 fois plus carbonée que celle de la France, qui depuis la fermeture de Fessenheim détériore son bilan en lui achetant un peu de cette énergie polluante. C’est cela la transition ?
Non, mille fois non. Nous défendons le principe d’une transition économiquement et socialement acceptable. Construisons notre modèle vertueux de transition.
« Quelle époque »
Bref vous le savez les conséquences de ces « naïvetés » allemandes sont catastrophiques pour eux mais aussi pour l’Europe et surtout, oui surtout, pour les Ukrainiens !
On pourrait dire que la politique n’ennoblie pas toujours l’économie et que l’économie dans un régime démocratique doit intégrer une part de morale et savoir rester fière, en fin de compte cela semblerait rentable.
Restons dans le domaine de la fierté. La signature de notre nouvelle convention nationale. Cela fait, je crois, 6 ans qu’Hubert Mongon soutenu par le conseil de l’UIMM est à l’œuvre avec nos partenaires sociaux. Le quotidien « Le Monde » parle d’une tâche herculéenne et c’est le cas, 7000 pages de conventions diverses et variées ont été fondues pour produire un texte de 230 pages. Nous, quand on parle de simplification administrative et de consensus, on le fait !
Ah si nos administrations pouvaient suivre notre exemple…mais ne rêvons pas.
« Quelle époque »
Aux femmes et aux hommes qui font vivre l’industrie Lorraine, car c’est bien d’abord à eux que s’adresse cette AG, je voudrais dire que l’UIMM Lorraine sera en 2022 pour les industriels un point fixe dans la tempête, un lieu de réflexion et d’action pour les aider à la traverser. Mieux, nous serons, à votre service, encore plus performants. Les épreuves aussi douloureuses soient elles nous ont renforcés.
Nous continuerons, voire nous renforcerons notre engagement, notre lobbying aussi sur les grandes problématiques de notre territoire, comme la mobilité, le recrutement et la formation par exemple. Nous le ferons avec tous ceux qui partagent nos convictions, dans un esprit de collaboration au-delà des corporatismes.
Le « Covid » et « l’Ukraine » ont un point commun, ils ont mis en évidence nos lacunes, nos faiblesses. Nous, industriels, devons en tirer les leçons, en assumer les conséquences et agir comme nous savons le faire.
C’est aujourd’hui redevenu une évidence la France ne sera grande et prospère que si elle possède une grande industrie. Ce n’est pas une option, c’est une nécessité qui doit devenir une volonté farouche. Pour avoir une grande industrie il faut une indépendance énergétique, de nouvelles filières pour nos pièces détachées, un accès à nos matières premières diversifié donc plus pérenne et des compétences en qualité et quantité suffisantes. Ce n’est pas tout, mais si cela n’est pas mis en place très rapidement avec une « volonté farouche », notre industrie et notre France dépériront !
En conclusion j’insiste, il nous faut :
- Une compétitivité coûts (moins d’impôts et taxes de production, de charge)
- Des compétences en quantité et qualité suffisantes
- Une énergie toujours disponible, à un prix acceptable, décarbonée et sous notre contrôle
Nous avons le devoir de faire comprendre tout cela à nos politiques et à la puissance publique. Ce sera un de nos engagements à l’UIMM Lorraine pour 2022 et après ! Faisons entendre notre voix, elle en vaut largement bien d’autres !
Soyons fiers de ce que nous sommes et de ce que nous faisons… pour notre époque.
Hervé BAUDUIN, Président de l’UIMM Lorraine, Chef de file France Industrie Grand Est